…mais nous sommes arméniens.

Ce vers écrit par Barouyr Sévak prend encore une fois tout son sens à la lumière des événements récents qui ont eu lieu en Arménie. Nous sommes peu, il est vrai, et huit morts, c'est huit victimes de trop pour cette jeune république que le monde entier regarde progresser lentement vers une démocratie, mais qui a toutefois du mal à se mettre en place. Il est certain que ces événements auront nui à son image.

A l'exception de nos vieilles démocraties, la contestation du résultat des élections est devenue un sport international où le perdant a l'habitude de crier au scandale. Heureusement, cela ne se solde pas toujours par des victimes, mais cela laisse une impression de malaise et une frustration du côté des perdants. Même de grands Etats à la réputation démocratique clairement établie comme les Etats-Unis ne sont pas à l'abri de ce genre de problème. L'élection présidentielle de 1999 a donné lieu à de vives contestations.

Dans un précédent éditorial (Journal n° 109 : "Arménie, mon amie") je parlais de ce havre de paix que représentait l'Arménie. C'était sans compter sur l'appétit de politiciens ivres de pouvoir qui font passer leurs intérêts propres avant ceux du pays. La recherche des responsables ("c'est pas moi, c'est l'autre") ne peut satisfaire personne, surtout pas les vrais amoureux de l'Arménie qui se désolent de voir ce pays convalescent après les 70 années de communisme, la guerre du Karabagh, le tremblement de terre, se déchirer à nouveau, et ce sans l'aide de personne.

Sans l'aide de personne? Pas sûr. Il est certain que ces politiciens de retour sont soutenus par des grandes puissances soucieuses d'étendre leur domination sur l'Arménie, passage obligé dans les grands axes nord-sud. A la limite, on pourrait même penser qu'il est préférable que l'Arménie n'ait pas de pétrole. Si l'Arménie était un pôle énergétique, les grands monopoles pétroliers ou financiers se seraient jetés sur ce malheureux pays et l'auraient colonisé de manière larvée mais efficace, à coup de dollars ou de "coopération" militaire. Ce qu'il faut à l'Arménie est la stabilité politique qui semblait lui réussir pour rétablir son économie encore chancelante.

Jusque là, l'Arménie a su résister à toutes ces pressions, entretenant de bonnes relations avec son allié naturel, la Russie avec laquelle des accords d'assistance militaire réciproques sont signés. La Russie ne s'y trompe pas car elle sait que seule l'Arménie est un partenaire fiable dans la région, contrairement à la Géorgie noyautée par les Etats-Unis et l'Azerbaïdjan par les puissances pétrolières. L'Arménie et la Russie protègent d'ailleurs conjointement la garde des frontières de cette jeune république.

Notre rôle à nous, l'UMAF, est de passer outre ces considérations et de continuer à aider l'Arménie, et pour cela nos équipes repartent bientôt dans les missions en cours : fournitures d'équipements dentaires et formations de médecins dans les hôpitaux militaires de Erevan et Vartenis, tournée d'inspection des différents services que nous soutenons à Spitak, Gumri, à Erevan même, reconnaissance des lieux de la prochaine mission des "Lunettes pour l'Arménie".

L'Arménie a connu souvent des épreuves, et elle survivra à celle-ci également, à huit morts près, hélas, une fois encore huit morts de trop. Espérons, comme le chantait Charles Aznavour, que les beaux jours de l'Arménie renaîtront encore…

Docteur Frédéric MANOUKIAN
Président de l'UMAF-Paris.